Contexte de la mission
La Guyane n’est pas reconnue pour ses plages, et pourtant le trait de côte s’étend sur une distance de 378 kilomètres entre les fleuves Oyapock, à l’est, et Maroni, à l’ouest. Ce linéaire le long de l’Océan Atlantique délimite la Zone Économique Exclusive qui s’étend jusqu’à une limite de 200 miles marins.
Ce vaste territoire marin, méconnu et pourtant si riche, abrite une biodiversité exceptionnelle même si nos connaissances en sont terriblement lacunaires. Face à l’augmentation des pressions anthropiques (surpêche, forages pétroliers, pollution, etc…), il devient urgent de multiplier les campagnes d’exploration du milieu marin afin de mieux comprendre les répartitions spatio-temporelles des espèces au sein de la ZEE.
Les objectifs du projet sont multiples. En se basant sur la dernière expédition d’exploration du milieu marin, le projet vise à :
• Compléter et mettre à jour les listes de cétacés et d’oiseaux de mer observés en Guyane en appuyant la recherche sur les secteurs moins prospectés ;
• Compiler et compléter les cartes de distribution des cétacés et des oiseaux marins observés en Guyane ;
• Analyser la variabilité de la présence des principaux groupes taxonomiques de cétacés et d’oiseaux marins en fonction de la saison et des habitats afin d’identifier les périodes et habitats les plus importants pour leur conservation au large de la Guyane.
Financement et partenaires du projet
Ce projet n’aurait pu voir le jour sans le soutien financier de la DGTM (Direction Générale des Territoire et de la Mer). Grâce à leur soutien et à leur accompagnement, nous avons pu bénéficier d’un financement des Fonds Vert, qui a permis notamment l’affrètement d’un navire.
Ce projet est également soutenu par la Fondation Biotope qui nous a permis l’analyse d’une partie des prélèvements ADNe.
Un partenariat a été établi avec OSL concernant les inventaires cétacés, ainsi que le MNHN pour les prélèvements ADNe.
Expédition Démérara I
La première campagne en mer a eu lieu du 10 au 19 octobre 2023. Elle a impliqué une équipe composée de 2 ornithologues de Bivouac Naturaliste, associés à 2 cétologues de Ocean Science and Logistic (OSL), ainsi qu’à un expert ADNe du MNHN.
A bord du catamaran de Guyavoile en compagnie de son équipage, nous avons réalisé des transects afin de couvrir des profondeurs comprises entre 500 et 4500 mètres entre la zone du tombant et les grands fonds marins en limite de ZEE. Les conditions météorologiques et les courants marins nous ont tout d’abord rendu la tâche difficile pour nous rendre jusqu’à la fontière Est, avant de bifurquer vers l’Ouest pour finir sur le plateau de Démérara.
Deux observateurs se sont succédé tout au long de la journée du levé du jour au coucher du soleil, sur des sessions d’observation de 2h, pour un total de 884 km de transect parcourus. En parallèle, des enregistrements acoustiques crépusculaires et nocturnes ont été réalisés sur différentes profondeurs pour compléter la liste d’espèces de cétacés.
Enfin, 19 collectes d’ADN environnemental ont été prélevés sur 10 points d’échantillonnage à des profondeurs variées, une première en milieu marin en Guyane !
Résultats ornithologiques
Les résultats de cette première campagne sont très encourageants.
Au total, 25 espèces ont pu être identifiées avec certitude. Parmi ces espèces, on compte 17 espèces d’oiseaux marins. On pourra noter la présence de nombreux Puffins d’Audubon (Puffinus lhermini) avec 45 individus observés contre 5 lors des compagnes de 2018. Cette espèce semble particulièrement abondante dès lors que les profondeurs atteignent plus de 500 mètres de profondeur. Ce qui s’oppose aux observations de Puffin des Anglais (Puffinus puffinus) retrouvés plus proche de la côte même si des individus sont également observés vers les grandes profondeurs, en plus faible densité.
Lors des différentes campagnes de 2018, un total de 7 Fous masqués a été observé (sur 40 jours de mission), pour aucun Fou brun (Sula leucogester), ni Fou à pieds rouges (Sula sula). A l’inverse, lors de la mission d’octobre 2023, nous n’avons noté aucun Fou masqué (Sula dactylatra), mais 3 Fous bruns et 3 Fous à pieds rouges en 10 jours de mission. Cette évolution très marquée du cortège des sulidés est très intéressante, et probablement liée à la période de l’année plus tardive.
Etonnamment, aucune Sternes arctique (Sterna paradisaea) ni de Dougall (Sterna dougallii) n’ont été observées malgré la période favorable. La Sterne de Dougall semble plus côtière, son absence dans les eaux profondes n’est pas si étonnante, mais la Sterne arctique migre au large à grande échelle. L’absence de cette espèce, qui fut observée en 2018, pourrait s’expliquer soit par les conditions météorologiques calmes qui ont concentrées le flux d’oiseaux sur une trajectoire centrale et non dispersé le long des côtes, soit par un retard des passages migratoires, les dates de la campagne coïncidant avec les dates des toutes premières données annuelles pour cette espèce en Guyane.
Au contraire, les Labbes se sont montrés bien présents durant la campagne 2023, comme en 2018, avec 14 individus en 10 jours. Nous signalons l’observation d’un très rare Labbe de McCormick (Stercorarius maccormicki) en provenance des eaux froides subantarctiques. A l’opposé, venant tout droit de la toundra subarctique, les Labbes à longue queue (Stercorarius longicaudus) se sont avérés relativement nombreux avec 6 individus identifiés, le plus abondant des 4 espèces de Labbes alors qu’il était longtemps considéré comme l’un des plus rares.
On notera également quelques espèces de limicoles en migration active vers le sud, dont un groupe de Barges hudsoniennes (Limosa haemastica), espèce rare en Guyane, mais aussi des oiseaux forestiers migrateurs inattendus comme une Paruline rayée (Setophaga striata) et un Coulicou à bec jaune (Coccyzus americanus) venu chercher du repos sur le bateau, à plus de 200 km du littoral. Ces trois espèces sont soumises à évaluation par un comité d’homologation en Guyane, dû à leur rareté. Leur observation si loin au large procure donc des données particulièrement intéressantes.
Résultats sur la mammalofaune marine
Des groupes de mammifères marins ont pu être observés à 17 reprises durant cette première campagne, avec au total 103 individus. Parmi eux, 7 espèces de cétacés ont pu être identifiées, toutes de la famille des Delphinidae. Certains groupes sont encore en cours d’identification.
On pourra noter une diversité des espèces parmi ce taxon semblable à celle de la campagne d’octobre 2023 malgré une durée de mission plus courte, avec notamment le Grand dauphin (Tursipops truncatus), le Dauphin tacheté pantropical (Stenella attenuata) et le Dauphin tacheté de l’Atlantique (Stenella frontalis) observés régulièrement.
Cette campagne permet également de confirmer la présence de Dauphins de Fraser (Lagenodeplphis hosel) dans les eaux guyanaises. Cette espèce est considérée comme rare dans la Zone Economique Exclusive de Guyane, elle n’avait d’ailleurs pas été observée durant la mission d’octobre 2019 et identifiée pour la première fois en Guyane durant celle de juillet 2018. Il s’agit donc là d’une donnée particulièrement intéressante.
Contrairement aux missions précédentes, nous avons pu faire l’observation d’un groupe de Sténo rostré (Steno bradanensis) dans la zone du Talus, ainsi que possiblement des Pseudorques (Pseudiorca crassidens) ou Péponocéphales (Peponocephala electra). Cette dernière identification reste néanmoins à confirmer par les analyses acoustiques compte tenu des conditions d’observation difficiles.
On remarque également des groupes hétérospécifiques parmi les dauphins, notamment les Fraser associés au Grand Dauphin.
Certains groupes de cétacés n’ont pas pu être identifiés visuellement car trop éloignés ou rapides pour distinguer certains critères avec certitude. Aussi, quelques groupes rencontrés semblaient être en sommeil, ne laissant pas apparaitre ni leurs têtes ni leurs ailerons dorsaux. Ce comportement fut remarqué en particulier les jours de mer calme (Beaufort à 0 ou 1).
Aucune espèce de Baleinopteridae ni Kongiidae n’ont été observées durant cette campagne, période pourtant favorable à leur observation d’après la mission précédente. Néanmoins, leurs présences restaient rares (1 à 5 individus) sur une mission plus longue (20 jours) en octobre 2018. La présence des cachalots (Physeter macrocephalus), quant à elle, n’avait pu être identifiée uniquement par les analyses acoustiques dans les campagnes précédentes avec une seule détection durant la campagne d’octobre 2018.
L’analyse prochaine des enregistrements acoustiques permettra certainement de préciser ou confirmer certaines identifications visuelles. Il est également possible qu’elle permette de détecter des groupes, individus ou espèces supplémentaires, et ce en particulier durant les enregistrements nocturnes. Enfin, nos identifications et détections seront également comparés aux résultats de l’ADN environnemental.